mardi 8 mars 2011

Doctor Bric and Mister Broc

Rares, finalement, sont les livres consacrés à l'écriture, signés par des écrivains contemporains. Saluons donc la mémoire de Gérard Bobillier, patron des éditions Verdier, qui eut l'excellente idée de demander à Olivier Rolin de rassembler certains de ses interventions en un volume, paru récemment chez Verdier et intitulé Bric et Broc. Peu désireux d'établir une théorie de la chose écrite, ou romanesque, ou poétique, mais plus que soucieux d'avancer, non des idées, mais convictions, avec leur cortège de doutes, Rolin parvient en à peine plus de cent pages à toucher à l'essentiel: le style, la beauté, la lecture, la jouissance, l'émotion, la rupture. Il se permet même d'annoter son texte, en un mouvement de recul qui à la fois éclaire, rehausse et module. Sans afféterie, avec la modestie d'un écrivain qui continue d'hésiter dans son assurance. Rolin cite beaucoup – Valéry, Barthes, Flaubert, etc. – mais c'est chaque fois pour lier l'étincelle venue de l'autre au plaisir de le relire. Il dit ses admirations, ses engouements, ses fétiches, avec justesse et malice.

Ses définitions de la littérature ne sont jamais des actes de circonscription, ce sont des images à déplier, à prolonger:
[La littérature] doit être une chlamyde trouée, une chose dissociée, où du manque éclate. […] L'écriture, l'expérience qu'on en fait est toujours, sous quelque rapport qu'on l'envisage, celle d'un inassouvissement.
Sa réflexion le conduit à parler du roman, de "ce qui fut son domaine", de son désormais statut d'exilé, à dire combien le défi d'un livre ne gît pas dans son intrigue ("la simple idée de progression a bien des chances de n'être pas pertinente pour caractériser les œuvres romanesques", p. 70) – et à rappeler ce qu'est une lecture, cet acte qui, selon Barthes, aime à se laisser captiver par "le feuilleté de la signifiance".
Rolin fait également une belle part à ses "phares", dans ce recueil: Rimbaud, Lowry, Cendrars, Homère… Il nous aide à relire Hugo, à réentendre Chateaubriand et à mieux saisir Malaparte. Et surtout, il nous invite à nous pencher sur le souvenir de nos lectures, souvenir qui a transformé les livres lus en "ruines", comme le dit si terriblement Valéry:
C'est étrange comme la suite des temps transforme toute œuvre […] en fragments. Rien d'entier ne survit.

Que garde-ton d'un roman de Faulkner? Une treille, un bosquet de cèdres? Que nous lègue Claude Simon? Fracas d'un train, bruit des sabots? Oui, le travail d'écriture consiste à préparer des ruines futures, à baliser un tant soit peu des paysages peuplés de vestiges, que le lecteur traversera un jour, plus ou moins attentif, plus ou moins conquis dans son abandon. Le roi ne vient peut-être que quand il veut, comme le disait Michon, mais à chaque fois il réinvente notre royaume.
Et Rolin de conclure son ouvrage par une relecture de l'Iliade, où l'on se dit qu'un des épithètes homériques accolés à Hector conviendrait parfaitement à la personne de l'écrivain: "maître de déroute".
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Olivier Rolin, Bric et Broc, éd. Verdier, 13 € 50 – Rappelons que sort également aux éditions Inculte, toujours de Rolin, un livre intitulé Sibérie. Et qu'une chlamyde est "une draperie portée exclusivement par les hommes et originaire de la Grèce antique et plus précisément de Thessalie" et non, comme je l'ai cru bêtement dans un premier temps, une bactérie – comme quoi, lire n'est jamais gagné…

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