mercredi 18 avril 2012

No Pulitzer today, their minds have gone away…

On pensera ce qu'on veut des prix littéraires et du prix Pulitzer en particulier, notamment du Pulitzer attribué à un ouvrage de fiction, mais force est de reconnaître qu'en général le résultat est rarement décevant: Jennifer Egan, Paul Harding, Junot Diaz, Marilynne Robinson, Jeffrey Eugenides, Richard Russo, Michael Chabon, Richard Powers… On pourrait en citer encore quelques dizaines sans être déçu.
Eh bien cette année, les jurés n'en décernent aucun. C'est comme ça. Nah. Pas de Pulitzer au défunt David Foster Wallace, pas de Pulitzer à Denis Jonhson, pas de Pulitzer à Russel Banks… Pourtant tous sélectionnés, à croire qu'ils en étaient dignes, puis… plus du tout. L'importance de ce prix – son soutien à une fiction exigeante – est d'une telle importance économique et culturelle qu'on voit mal quelle raison peut pousser un jury à ne pas arriver à se mettre d'accord. En ne décernant aucun prix cette année, les jurés ont dû se dire que leur morgue était au-dessus du mesquin consensus qui consiste à élire un "winner". Ils ont réussi à réduire leur liste de départ à trois titres (Wallace, Johnson et Karen Russell) mais ont été infoutus de rassembler une majorité de voix sur un titre. Et apparemment les statuts du prix ne permettent pas de sortir d'un si redoutable embargo. Pathétique. Comme le déclare, serein, Sig Gissler, administrateur du Prix:

"Thus after lengthy consideration, no prize was awarded. There were multiple factors involved in these decisions, and we don't discuss in detail why a prize is given or not given."

En français dans le texte: "Après une longue réflexion, le prix n'a pas été attribué. De nombreux facteurs jouaient dans ces décisions, et nous n'exposons pas dans le détail les raisons qui font qu'un prix est donné ou pas." En français dans le texte, une deuxième fois, mais plus clairement: "C'est comme ça, on n'a pas à s'expliquer et on vous emmerde." D'ailleurs, c'est la dixième fois que le comité du Pulitzer fait ce coup-là.
Comme le fait remarquer l'écrivain Ann Patchett dans une tribune que publie The New York Times: 

"With book coverage in the media split evenly between “Fifty Shades of Grey” and “The Hunger Games,” wouldn’t it have been something to have people talking about “The Pale King,” David Foster Wallace’s posthumous masterwork about a toiling tax collector (and this year’s third Pulitzer finalist)?"

Autrement dit: Vous ne trouvez pas qu'on parle suffisamment des daubes? Vous pensez vraiment qu'il aurait été déplacé de promouvoir, par exemple, le livre d'un des plus grands écrivains américains? Non? C'était trop demander? 

On imagine notre stupeur si un juré littéraire nous annonçait un beau jour d'automne que non, entre Guyotat, Kerangal et Chevillard, pfiou, impossible de se décider. Rien de plus rageant qu'un prix, certes, mais quoi de plus rageant qu'un prix qui se désaccorde avec lui-même, qui se la joue "euh non, pas envie", qui s'abstient, hautain, parce que la majorité c'est vraiment too much demander ? D'un prix qui feint de ne pas comprendre à quel point il est vital et symbolique dans un contexte économique où les libraires indépendants ont presque tous disparu? On a envie d'aller réveiller les manitous du Pulitzer et de leur donner un cours de latin: Alors voilà aujourd'hui nous allons apprendre les mots "ex aequo". Et demain on apprendra "age quod agis".




3 commentaires:

  1. Cette édifiante histoire et le laconique et suffisant propos de Mr. Gissler m'ont rappelé la répartie d'un gentleman victorien lequel, interrogé à propos des pratiques sexuelles de son singe préféré, répondit simplement: "He suffices to himself"...

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  2. Les chiens bien nourris, nourrissent leur maître

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  3. Johnson, c'eût eu un peu de gueule aussi (même si Train Dream est peut-être mineur dans son oeuvre)

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