mardi 2 octobre 2012

Plongée dans le Ptyx

Ptyx. Vous avez dit "ptyx"? Oui. Ptyx. Qu'est-ce qu'un ptyx? Est-ce proche du Styx? Serait-ce l'ombre porté du petit x ? Le nom secret de la grande inconnue? Le hasard fait – et défait – bien des choses. Il y a quelques années, j'avais écrit un bref essai sur la notion d'intraduisible, notion séduisante mais néfaste à la profession, dans lequel je revenais sur les fameux vers de Mallarmé (cités par Marc de Launay dans un essai):

Sur les crédences, au salon vide: nul ptyx,
Aboli bibelot d'inanité sonore,
(Car le Maître est allé puiser des pleurs au Styx
Avec ce seul objet dont le Néant s'honore.)

,vers que je commentais ainsi:

De Launay cite ce passage de la correspondance de Mallarmé où le poète fait cet aveu étonnant au sujet du mot "ptyx": "On m'assure qu'il n'existe dans aucune autre langue, ce que je préférerais de beaucoup à fin de me donner le charme de le créer par la magie de la rime." Ne pourrait-on pas nommer "ptyx" non pas une unité lexicale irréductible par le sens et le son, mais un ensemble plus vaste, un énoncé/une matrice, tout aussi résistant(e)? En ce cas, la traduction viserait quelque chose de l'ordre de la magie mallarméenne, elle se chercherait un "charme" capable de chasser ce symptôme du ptyx qui l'empêche de faire "rimer" les langues entre elles. Traduire pourrait être alors cette opération mystérieuse consistant à penser le phénomène chimique de la rime à un niveau différent, à un degré supérieur où sens et son seraient conservées dans leur pureté transcendantale, et ce dans une même impulsion.

Ce mot – ptyx – apparaît pourtant avant Mallarmé, dans le poème de Hugo, Le Satyre (1859):

On connaissait Stulcas, faune de Pallantyre,
Gès, qui, le soir, riait sur le Ménale assis,
Bos, l’aegipan de Crète ; on entendait Chrysis,
Sylvain du Ptyx que l’homme appelle Janicule,
Qui jouait de la flûte au fond du crépuscule ;

Jarry s'en est servi également au chapitre XIX de son Faustroll (évidemment dédié à Mallarmé…), avertissant le le lecteur que "L'île de Ptyx est d'un seul bloc de la pierre de ce nom […]". Bref, on avait là un mot se mordant une queue invisible qu'on gardait dans la poche de sa mémoire, un caillou en vérité fort peu aboli qui semblait se chercher d'autres escales…

C'est chose faite depuis samedi dernier, puisqu'une librairie portant ce nom vient d'ouvrir en Belgique, à Ixelles plus précisément, sous l'impulsion d'Emmanuel Requette. Hasard ou pas, il se trouve que cette librairie m'invite ce soir mardi 2 octobre à venir parler de mon dernier roman. Ça se passera donc à 19h au 39 rue Lesbroussart, non loin de la place Flagey. Je ne connais pas Ixelles, je sais seulement que Cortazar y est né, que Thomas Bernhard y a vécu et que le colonel Boulanger s'y est fait sauter – scrachtz-brouf ! – la cervelle. Il y a là une chaîne logique qu'on s'en voudrait de ne pas prolonger…
Les goûts du libraire sont de ceux qu'on a déjà inscrits en soi: Deleuze, Chevillard, Volodine, John d'Agata, Gaddis… Et le fait que l'auteur honoré en octobre dans la vitrine soit B.S. Johnson ne peut que nous installer prestement dans un wagon du Thalys, ce que nous allons faire dans quelques heures. Si donc vous habitez Ixelles, ou Bruxelles, ou êtes dans les parages, ou possédez l'amusant pouvoir de télétransportation – beam me up, beam me down… – n'hésitez pas à venir découvrir cette audacieuse librairie, et tant qu'à faire ce soir, plus on est fous plus on est nombreux. Le bruit court même qu'on (en tout cas, l'auteur) y dégustera ce soir de la Rochefort 10 (une version rassurante de l'arsenic). Laisse-toi donc ptyxer, ô lecteur possiblement aventureux, toi qui sais de toute éternité qu'un livre averti en vaut deux.

3 commentaires:

  1. Autre célébrité d'Ixelles: Jean-Claude Vandamme.
    (Je passe sur le fait que j'y ai aussi habité quelques années, mais pas avec lui...)
    Pierre

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  2. D'un coup d'aile ivre, oui

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  3. Voici ce que dit le Grand Robert :

    ptyx [ptiks] n. m.
    ÉTYM. 1868, Mallarmé; empr. grec ptux.


    Littér. Hapax (emploi unique), mais rendu célèbre par les commentateurs littéraires. Mot employé une fois par Mallarmé sans que le contexte ni le témoignage de l'auteur (→ ci-dessous cit.) permette d'en préciser le sens : « nul ptyx Aboli bibelot d'inanité sonore » (en grec, ptux signifie : « pli d'une étoffe », et « repli », « bande de métal ou de cuir d'une armure », « tablette ou feuillet pour écrire »; on peut risquer a posteriori cette glose : le signe pur est « aboli » par la page comme en un pli).
    (…) comme il se pourrait toutefois que rythmé par le hamac et inspiré par le laurier, je fisse un sonnet, et que je n'ai que trois rimes en ix, concertez-vous pour m'envoyer le sens réel du mot ptyx : on m'assure qu'il n'existe dans aucune langue, ce que je préférerais de beaucoup afin de me donner le charme de le créer par la magie du rythme (…)
    Mallarmé, Lettre à Lefebvre, 3 mai 1868 (à Avignon), in Œ., Pl., notes, p. 1488.

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