lundi 22 avril 2013

Lowry: du nouveau sur les flammes de l'enfer

 Dans Merci infiniment, ce texte de Malcolm Lowry paru aux éditions Allia en 2010 (traductionClaire Debru), et qui reprend la longue lettre qu'écrivit Lowry à son éditeur anglais pour contester les critiques et propositions de coupes faites par un lecteur de l'éditeur, on assiste à une défense et illustration d'Au-dessous du Volcan – une défense pleine d'ironie et une illustration tout en finesse. Cee n'est pourtant pas sur la pertinence de l'analyse de Lowry qu'on voudrait ici revenir, encore qu'elle soit jubilatoire et exemplaire, mais sur la présence, étrange et floues, des mains d'Orlac.

En effet, page 41-42 de l'édition française de cette lettre, Lowry, qui défend et explique chapitre après chapitre de son grand roman, écrit ceci à propos du contexte du chapitre I:
"Au cinéma [où s'est rendu Laruelle] et dans le bar, les gens viennent s'abriter de l'orage comme ils se protègent des bombes partout dans le monde, et les lumières s'éteignent comme elles se sont désormais éteintes partout dans le monde. Le film du jour est Les Mains d'Orlac, déjà projeté exactement un an plus tôt, à la mort du Consul; via l'origine allemande du film, l'homme de l'affiche aux mains ensanglantées symbolise la culpabilité de l'espèce humaine […]."
Or, quelques lignes plus loin, il précise:
"[…] et alors que retentissent en arrière-plan des échos politiques (la vedette allemande du film, Maria Landrock) et historiques (Cortez et Moctezuma) […]."
Ecrit entre 1935 et 1945, le Volcan devrait donc faire allusion à la version autrichienne du film, celle tournée en 1924 Robert Wiene, avec Conrad Veidt et Alexandra Sorina. Il existe bien une version plus récente alors, datée de 1935, mais elle est de Karl Freund et américaine, avec Peter Lorre et Frances Drake. Or Maria Landrock, qu'évoque nommément Lowry dans sa lettre, n'a  pas joué dans le film de 24 (et encore moins dans la version américaine de 35): cette actrice, née en 1923, égérie du cinéma du IIIè Reich, alla pourtant jouer devant les soldats allemands du camp d'Auschwitz le 18 juillet 1944.

Pourtant, le film projeté au cinéma où se rend Laruelle est bien celui de 35 – La Manos de Orlac, con Peter Lorre… D'ailleurs, Laruelle se demande si le cinéma n'a pas déjà projeté ce film. L'ont-ils "revived [it] as a hit"? L'ont-ils "remis en vogue" ? Mais le señor Bustamente lui répond: "We have not revived it. Il has only returned" – nous ne l'avons pas remis en vogue, il est revenu, c'est tout. C'est alors que Laruelle aperçoit derrière le bar une affiche d'un film allemand, d'aspect néanmoins espagnol, avec… Maria Landrock – La simpatiquisima y encatadora Maria Landrock

On comprend mieux alors le travail de dédoublement/décalage auquel s'est livré Lowry. Les Mains d'orlac américaine opèrent ici comme un palimpseste: en dessous se cache une version allemande (ou plutôt autrichienne), qui n'a rien de nazi (Conrad Veidt, même si Hollywood le cantonna dans des rôles de nazi, dut fuir l'Allemagne en 1933). Mais la présence d'une photo de l'actrice pro-nazie, du fait de sa proximité avec l'affiche où apparaissent des mains ensanglantées, nous permet de mieux comprendre la réponse de Bustamente: Nous ne l'avons pas ranimée (revived), elle est revenue (returned).

La confusion n'était donc qu'apparente. C'est l'Histoire qui confond, fusionne, mêle en fracassant. Il existe donc bien, dans le Volcan, à un niveau caché, une version nazie des Mains d'Orlac, mais elle n'est projetée que dans l'esprit concret du roman, à l'état de fantasme. Dans le cinéma, nous dit Lowry, des spectateurs à moustaches attendent, tels des guerriers, la vision de mains ensanglantées…

Eternel retour – de l'horreur, du Mal. La photo de l'actrice, est à lire bien sûr sous l'éclairage de la page du calendrier ouvert juste à côté d'elle: la rencontre entre Cortez et Moctezuma. Cortez qui vint une première fois conquérir les Aztèques mais fut repoussé (la fameuse Noche triste) avant de revenir promptement, dévastant tout.

Lowry pouvait-il expliquer tout cela à son éditeur? Il a pourtant, à un moment de la lettre, cette phrase extraordinaire, qui établit clairement son objectif:
"Sur mille auteurs qui s'acharneront à construire convenablement leurs personnages, un seul vous donnera du nouveau sur les flammes de l'enfer. Et c'est ce que je fais: je vous donne du nouveau sur les flammes de l'enfer."
Non seulement on pense en lisant ces lignes à la cérémonie dite du Feu Nouveau (dont le rituel cessa avec l'irruption de Cortez), mais on relit alors la projection des Mains d'Orlac sur l'écran du Volcan sous un autre éclairage – or c'est exactement ça : des nouvelles de l'enfer, l'enfer du nouveau qui revient.




3 commentaires:


  1. "The only hope is the next drink.
    If you like, you take a walk.
    No time to stop and think,
    The only hope is the next drink.
    Useless trembling on the brink,
    Worse than useless all this talk.
    The only hope is the next drink.
    If you like, you take a walk."

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  2. Bel exercice de philologie...

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