samedi 20 juillet 2013

Ecrivains en bord de mer (3): Initial Bouquet



La journée d’hier (vendredi) fut riche et intense à la Chapelle Sainte-Anne. A 11h30, Bernard Martin, dans son impeccable chemise à rayures rose saumon qui lui permet de remonter tous les courants, se livra à une évocation de Joe « Je Me Souviens » Brainard, suivi d’un petit film-montage de 25 mn dont les séquences, faussement illustratives en regard des commentaires, firent resurgir une Amérique délicieusement sépia, où l’amitié était le personnage principal . Puis nous eûmes droit à une dégustation de bloody mary et après ça tout dégénéra, des dames d’une soixantaine d’années se déchaînèrent, une lascivité quasi pasolinienne s’empara des corps et un début d’orgie s’improvisa sur la scène – mais j’exagère sans doute.
L’après-midi, à 14h30, Stéphane Bouquet se lança dans un exercice à flux tendu : tenter de définir la spécificité américaine de la poésie américaine. (Je ne mets pas de guillemets dans l’exposé suivant, mais imaginez-les, car je retranscris les propos de Stéphane Bouquet). Partant de Wallace Stevens qui concevait le projet poétique comme « invention d’une nation dans la phrase », Bouquet opta pour une lecture « nationale » de la poésie américaine et de son émergence. Il s’agissait à l’époque d’inventer le peuple, la langue étant déjà là (Gertrude Stein). De remettre la poésie dans le grand bain de la littérature, en somme. Parallèle avec la danse, via l’American Document de Martha Graham : la danse se veut démocratique, toutes les parties du corps sont équivalentes, ce que prône également Merce Cunningham – du coup, translatez l’équation : corps/langue, scène/page : il conviendra que tous les éléments de la langue soient égaux. La page, conçue comme une espèce de champ où les choses sont à égalité. On assiste à un processus de démocratisation du poème, de la langue.
Là, quelques exemples : e e cummings et l’abandon des majuscules (tout nom devient un nom commun, on s’attaque à la hiérarchisation exhibée par la syntaxe, avec ce bel exemple où, au lieu de l’attendu « the moon smiles », cummings y va d’un « mo(smile)on » ; ou, à l’inverse, Emily Dickinson, qui multiplie les majuscules pour intensifier son rapport au maître (père ou dieu), bref, pour tout élever à la puissance de Dieu ; et enfin Gertrude Stein.
Bouquet convoque également William Carlos Williams et son fameux « pas d’idée hors les choses ». Il cite Jack Spicer (« le poème est collage du réel »), Whitman, rappelle les enjeux de la stratégie épique (présente dans Patterson, mais aussi chez Olson, Stein, et Pound – et dans une certaine mesure chez Eleni Sikelianos et son « poème californie ».
Plaisir d’entendre Bouquet lire les poètes américains, que ce soit Paul Blackburn ou Robert Creeley. Allez, on vous laisse sur un titre de poème de Frank O’Hara, « The Day Lady Died » (concernant Billie Holiday) et la difficulté de sa traduction. Je propose, faute de mieux, et en attendant : «dodo ladida ». Musique !

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