vendredi 11 octobre 2013

Pindare et les garçons sauvages: Bouquet suivant

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S’il fallait, ici – dans ces Amours suivants qu'effeuille magnifiquement Stéphane Bouquet –, guetter l’ombre de Ronsard, ce serait pour en relever le passage effrité dans la forme sonnet qu’adopte la première partie du recueil – précisément intitulée Les Amours –, dans cette friction avec
« la vitesse de mourir contre quoi je récite follement un autre rose ce matin mignon »,
friction sensible dans ces quatorze "sonnets" bousculés de quatorze vers libres comme des enfants perdus, auxquels l’auteur ajoute, entre parenthèses, un quinzième sonnet, un peu comme la main outrepasse le trait quand les couleurs réclament davantage tout en sachant enfreindre,
et s’il fallait, également, y sentir la scansion prétendument virile d’un Pindare célébrant, dans ses épinicies, les corps victorieux des athlètes, on la pourrait entendre dans le roulement d’épaule syllabique d’un nom de champion de ski ou d'un nageur olympique – car si odes en ces pages il y a, ce sont odes dédiées aux garçons sauvages, rêvés ou caressés, convoqués ou pénétrés – et si épinicie on devine, c'est autant la victoire qui est ici chantée que la perte.

Dans « Solitude Semaine 1 », le désir déjoue le calendrier de la Genèse et se risque, dans l’imperfectibilité des jours, aux
« […] déséquilibres déchirants de l’offre & de la demande »
puisque la langue, à l’instar des corps convoités, connaît le secret des métamorphoses, et peut changer l’amant crasseux en divinité solaire. Mais ce sont là illusions, même savourées, et c’est dans « Lumière de la fugue » que Bouquet allonge la foulée et, au prix d’enjambements poignants, se lance dans un récit bien évidemment fissuré, récit de conquête et de perte au fil d’un octobre amoureux que traverse Nurettin le bien nommé, sa "Laure" ou sa "Béa" modernes :
« il faut changer ta vie. Mais tu penses plutôt que Nurettin
            est l’abri de tous
les murmures et de tous les chantonnements. Ceci est un
            matin : époustouflant
par définition. C’est le 31 octobre et il refait un quasi
            printemps
sauf que les feuilles ont déjà franchi le sans desséché de la fin. »
Bouquet a le secret, rimbaldien, rongé, des formules indifférentes aux écrins, et la base classique, au sens chimique, à partir de laquelle se forment les précipités de son écriture, lui permet de parler de la « mort éparpilleuse », d’évoquer le « glamour poudré des perruques », d’antéposer l’adjectif pour le rendre plus tactile (« la dégoulinante pluie »). Qu’il s’enfonce en scooter dans les arcanes de Taipei, devise avec le fantôme du poète Paul Blackburn (qu’il a traduit chez Corti) ou fasse l’inventaire de la bibliothèque de l’aimé (où, sublime cruauté, se cachent des vers d’Ibn Arabi), Bouquet tient son vers comme une phrase qu’il convient de plier ou de rompre selon le degré d’amertume ou de joie auquel consent la mémoire :
« […] il porte des cartons de fleurs du camion à la boutique, il dresse en fumant les tables de la terrasse, il tient le miroir pour la cliente décider si ses lunettes lui vont aussi à la lumière du jour, lui trouve que oui étant sûrement payé au pourcentage, il fonce à vélo

vers forcément quelque part, un
casque protégeant si jamais

le sacré cœur de son crâne, bien sûr que
des mains bientôt se serviront de lui »
Et le recueil de s’achever en sonnets esquintés, incomplets, comme si les yeux de celui qui écrit, Orphée serein jusque dans l’abandon, préféraient se fermer plutôt que de laisser le regret se retourner. Voilà pourquoi Les Amours suivants, qu’on a lu peu de temps après Nos Amériques (2010), sont, littéralement, de gais tombeaux, ou comme ces hécatombes murmurées par d’Aubigné – mais ici: attention ::: c’est l’amant ::: l’architecte :
« […] et aussi un jeune architecte barbu et très
            beau, un genre de pâtre
superfétatoire et j’ai pensé : je pourrais lui confier la construction
            de mon tombeau
+ tard quand : dans telle allée de l’espèce quelqu’un est mort,
            ce n’est pas très
important mais ce n’est non plus négligeable. […]. »

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Stéphane Bouquet, Les Amours suivants, éd Champ Vallon, 12€

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