jeudi 12 décembre 2013

Le choix d'Altmann, la langue d'Evenson

A paraître en janvier dans la collection Lot 49 (cherche midi éditeur), le premier recueil de Brian Evenson, publié aux Etats-Unis il y a vingt ans. Dès 1994, comme on le verra, Brian Evenson travaille ses thèmes de prédilection : le double, les liens parent-enfant, le fanatisme, etc. Que ce soit en quelques lignes – comme avec la percutante Tragique histoire abrégée du Barbier d’Auschwitz – ou dans le format d’une novella – L’affaire Stanza –, il sait varier les styles et les approches, tour à tour faulknérien, borgésien, kafkaïen… A chaque fois, grâce à une langue impeccable et à un humour corrosif, c’est l’âme humaine qui est présentée, sondée, abandonnée à son mystère ou à sa vacuité. Absurdes dans leurs actes, ou du moins obéissant à des logiques aberrantes, les personnages mis en scène par cet auteur nous frappent par la force de leurs convictions, et nous rappellent que ce qui constitue peut-être l’humanité relève autant des lois que de l’aveuglement. Livre littéralement rempli de bruit et de fureur, mais également de silence et d’effroi, La Langue d'Altmann apparaît alors comme un théâtre des solitudes où l’arbitraire frappe et sourit sous les auspices d'un dieu trépané. Extrait:
"Après avoir tué Altmann, je suis resté près du cadavre d’Altmann à regarder la vapeur de la boue s’élever autour de lui, obscurcissant ce qui avait naguère été Altmann. Horst me parlait à voix basse : 'Tu dois manger sa langue. Si tu manges sa langue, tu deviendras un sage', disait Horst à voix basse. 'Si tu manges sa langue, tu pourras parler le langage des oiseaux !' D’un coup de poing, j’envoyai Horst au sol et braquai le fusil sur lui, puis, comme par erreur, appuyai sur la détente. L’instant d’avant j’écoutais Horst parler, les yeux brillants – 'le langage des oiseaux' – et l’instant d’après je l’avais tué. J’examinai le cadavre à côté du cadavre d’Altmann. J’avais eu raison de tuer Altmann, pensai-je. Entre tuer ou ne pas tuer Altmann, j’avais choisi la première solution et ce choix, en fait, était le bon. Nous passons notre vie à faire des choix en permanence."