jeudi 10 avril 2014

Comment faire couler le son: Bouvet au larsen

Carte son, de Patrick Bouvet, est un livre en apparence calme et méthodique: des flashs épars sur une rock star adulée, dont les extravagances nous sont rapportées via twitter ou youtube, une chaîne de télé, etc. De plus en plus recluse, de plus en plus opaque à mesure que Bouvet laisse se resserrer sur elle sa focale; de plus en plus vide, vaine, aussi, tant les signaux qu'elle envoie ou que ses admirateurs lui envoient se télescopent et s'annulent: une vie infra gothique, dans un "cosmic ranch" sous "LSDisney", qui n'est pas sans rappeler le certain Schloß d'un Bambi Jackson.
Mais sous les nappes que dépose Bouvet à même l'image de la star, ou plutôt à même l'image de l'image de la star, gronde quelque chose, de l'ordre du larsen, du parasite, comme si la carte son de ce livre laissait passer des distorsions. Sous le vernis tout d'artifice grouille les vers du chaos, mais l'air de rien, comme engendrés par la claire charogne de la vedette vivante.
Fille perdue devenue panthère cathodique, animal pop consumée par sa propre gadgetterie mentale, celle qui surnage au-dessus des défuntes icônes rock ou autres – Jim Morrison, Judy Garland… –, s'imagine des envoûtements, se croit l'ultime persécutée de rites invisibles, alors que le seul vaudou dont elle souffre n'est que l'échographie saturée de sa propre disparition dans l'univers aphone des réseaux – ainsi de son concert programmé où chacun sera partout tel dieu ubiquiste dans sa propre périphérie:
"un spectateur connecté
en permanence
à qui on fait
croire
qu'il pourrait être
déconnecté
à tout moment
un spectateur
amplifié
parasité
pénétré
toujours au bord
de la rupture"
La "panthère noire" que décrit et démonte Bouvet est un fauve privé de Rilke, dont les barreaux, devenus trop immatériels, ne retiennent plus les pulsions factices. Synthétique jusque dans ses peurs, elle incarne l'ultime stade orphéique: quand l'être-lyre se retourne sur lui-même et se découvre miroir. Il est question à un moment de "parade monstrueuse": mais cette fois-ci, le freak est seul, "not one of us", danseur-zombi dans un monde effrayé par la profondeur.

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Patrick Bouvet, Carte son, éd. de l'Olivier, 13€

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