mercredi 30 avril 2014

Culture, récipient et poltergeist

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Qu’est-ce que la culture ? Un récipient ? L’intérieur du récipient ? La main qui s’empare, à bon escient, dudit récipient ? Lire, voire, entendre : ainsi se décline en apparence l’opération consistant à ne pas rester nu. Mais la multiplication des lectures, des musiques, des choses vues, l’errance des sens, les pièges de la mémoire et la béance du regret ::: comment créer dans cette salle où nous convoquons sans cesse des tripotées d’échos ? Comment oublier les faramineuses réminiscences, les fines résonnances, les cracheurs de vœux et souffleurs de vers ? qui nous poussent et nous bousculent ? Est-il même possible d’aligner deux dés sans que leur total se réclame d’une piste où tous les acrobates forment des lettres ? A force d’absorber des formes, risquons-nous d’ankyloser une vision qui aspirait au jeûne, à la modernité du squelette renaissant ?  Pourtant, comment museler l’alexandrin rutilant de Rimbaud, les comparaisons en vrille de Lautréamont, comment voler plus haut que le christ aéroplane d’Apollinaire, pourquoi négliger Breton dans l’alphabet des nuits urbaines, casser des bouts d’Artaud au moment de lâcher le corps ?
On l’a compris : ce qu’on appelle culture – cette culture qui se constitue plus qu’on ne la constitue, qui enfle et se fragmente au hasard des drames de la vie, des heures d’ouverture des librairies et des conseils délivrés par les fantômes – cette culture qui n’a de générale que ses approximations rêvées ::: forme un "recueil improbable" que nous compulsons à notre (inlassable) insu.
C’est sans doute la raison pour laquelle l’écrivain passe ses heures d'écriture à décevoir ses attentes pour mieux faire dévier ses espoirs. Les strates sur lesquelles nous griffonnons grincent telles les lattes d’un sommier que d’autres semblent continuer d’étrenner. Dans la nuit de notre inquiétude, ça parle encore en baudelaire, ça continue de lamartiner, des spectres hugolisent, d’anciennes tribus tarkosisent, on croit même entendre des poltergeists cadioter ici et là. Qu’importe. Les outils valsent. Les formes fêlent. Les recettes débordent. Nous apprenons, nous ratons, nous guyotons, volodinons. Echos, aimantations, tensions. Silences, stupeurs, sources d’étonnement et de détours. A la rencontre d’un autre que soi, tout en fragmentation, confusions, effusions. Puis, à force de déplacements ::: frapper sa diction – et procéder à l’alphabétisation de ces milliers de petits soi qui voulaient prendre le pouvoir et qui, renvoyés d’un coup sec de la glotte au néant extérieur, se changent en gammes – et enfin, dans l’abandon  d’hier, s’absenter silence, mais en musique.

2 commentaires:

  1. Magnifique! Je songe au "Cyclone" de F-Y Jeannet....

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  2. Avez-vous encore erré solitaire dans votre mardi, vous cognant aux quatre angles de votre plafond de phrases? C'est en tout les cas joliment versé, d'une carafe à un verre de Bohème, un vin frais à notre midi dépeuplé, sont-ce tous ces mots qui chassent l'amitié?

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