mardi 13 octobre 2015

Comme si une chose grave: la frappe AC Hello


Naissance de la gueule : c’est le titre, et on va vite y entrer dans cette gueule, on va vite s’y dissoudre aussitôt, avec la langue, la langue brûlée de l’auteure, AC Hello, sur laquelle on pourrait se méprendre en allant trop vite, c’est-à-dire, qu’on pourrait, emporté par sa rage, ne voir là qu’un écrit à dominance tripale, un cri plus ou moins modulé, alors qu’en réalité la langue de Naissance de la gueule est du côté du chant, riche en inflexions, et travaillant ses ratés à l’aide d’une rythmique redoutable. Tout commence au bord du fleuve du périph, qui charrie ses véhicules aveugles, et qu’une « fille à la bouche ouverte » vient sentir plus que voir, en absorbant les pulsations, s’en écœurant – et l’écœurement finit alors par remplacer son cœur, car en elle, en cette fille, fanfaronne « un fils de pute » qui l’empêche d’exister, de fondre sa voix dans le flux. Oui, ici, tout est affaire de flux, de jus, et ça fuit, la fille fuit, les fluides fuient, et c’est parti pour une cavale de la langue et des organes, des pensées avortées, des pulsions foirées. 

La bouche étrangle, la gueule veut parler. Et respirer. Des sons forcent la trachée, et ces sons font guerre :
« Ma tête est une opposition. Un ensemble d’expulsés. Je rigole sur ma chaise. J’irai jusqu’au bout de ma terrible tête qui n’a plus peur d’elle-même. C’est foutu. Pour la rêveries idéaliste et optimiste. C’est foutu. »
La fille donc fuit, c’est-à-dire qu’elle se réfugie, aussi, chez des gens, mais les gens mordent, au début ils accueillent, puis ils demandent, demandent de la parole, de la bave, or la gueule veut sortir de la bave, en a marre de se faire cogner parce qu’elle refuse d’être « dans la culture du debout », et forcée de parlée, contrainte à l’articulation, se déchire elle-même dans sa la ngue :
« Isui sanorce, riste, isui anomerb, anometoil, anomlarge, barje, anomcile, anolair, sanorce, isui pfilld’monde, isui illemonde, isuis anom i puitvoir, i puimrapandre dsinterstices, i puitvoir dtamaison, ié lcor ié la c’science extensible et isui prtou. Ipuistir, ipuistir. »
Au lecteur d’apprendre à mâcher ça, il le faut, ça n’est pas fini, ça continue, et après toutes sortes de « collisions », d’aheurtements ressentis en chair et en langue commence un drôle de voyage en Floride, où ça ne fait qu’empirer, mais différemment, avec Stanislas, avec Emmy aussi, Tobby, Jérôme Akoulov, un monde interlope qui parfois vomit, parfois se branche sur l’art et l’argent. La fille va vomir tout ça aussi, lasse de ce:
« malaise ontologique de ces blaireaux de merde, en habits d’apocalypse, dont la cervelle remplie d’attractions illimitées, tend des sucreries à des jambes, des poitrines, des nez et des crânes »…

Exit la fille, commence alors la troisième partie de ce retable cramé, un texte intitulé « claque-tête », à la justif étroite, qui mitraille, utilisant les syllabes comme des semonces, des rat-rat-rat mitraillettes, pour qu’on entende claquer la violence, la guerre,  les rafles, les rafales.
Naissance de la gueule : quand le langage ne se laisse pas faire, ça fait mal, rien n’est épargné, et ça laisse dérisoire pas mal de proses racées.

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AC Hello, Naissance de la gueule, éd. Al dante, 13 €

A.C. Hello pratique la performance et/ou la lecture sur scène. Crée des situations. Elle dessine, peint et écrit. Nombreuses publications en revues et fanzines (papier ou internet, dont Overwriting, Chimères, Armée noire…). Expose également. Un passage (rapide mais efficace) dans le collectif L’Armée noire.
Elle crée la revue Frappa en 2014, revue multimédia visible sur le net, et qui a vocation a exister également en version papier.
De la même auteure :
Paradis remis à neuf (Livre + CD, éditions Fissiles, 2014)

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