jeudi 17 mars 2016

La Trilogie du revoir de Botho Strauss

Ecrite spécialement en 1977 pour la troupe de la Schaubühne, la pièce La Trilogie du revoir, de Botho Strauss, révélée en France par Claude Régy l’année suivante, est actuellement sur les planches au Théâtre des Gémeaux, à Sceaux, dans une mise en scène de Benjamin Porée, après avoir été présentée à Avignon en juillet dernier.

Dans le cadre d’une exposition de tableaux organisée par des « amis des arts », les langues se délient, les sentiments dérapent, les relations cahotent. La parole, d’abord guindée, se dégonde vite. Les conflits et les engouements s’enlacent. Aux tableaux exposés, critiqués, racontés font miroir d’autres agencements tout aussi exposés, critiqués, racontés, ceux des individus qui vivent de l’art, bien ou mal. Dans le rapport à la création, et à la chose créée, se noue et se dénoue la passion du re-voir : comment changer face à la toile inchangée, quelle permanence accorder à nos désirs.

La mise en scène de Porée recourt à divers subterfuges pour permettre à cette valse hésitation de prendre tout son sens et toute sa dynamique : un plateau doté de deux cercles rouges, enchâssés et tournants, avec au centre l’immense banquise d’un canapé à deux pans, qui permet de cacher et montrer tour à tour les acteurs de cette « never-ending party » dont la pièce se fait le vivier chamboulé. En fond, une vaste baie vitrée compartimentée, au verre dépoli, qui rend les corps distants, échangeables, même si, filmés, ils continuent d’exister sur les deux murs latéraux de la scène, à la fois présents-absents.

Pendant plus de deux heures, les dix-sept acteurs de Porée se croisent et s’évitent, aussi bien dans les remous de la parole que dans les circonvolutions des mouvements, composant de temps à autre des tableaux vivants, soit pris dans un ralenti saisissant, soit éclairés tels des spectres pétrifiés. Menacés par la censure, ils s’égarent dans les méandres instables de leurs compromissions, volatiles jusqu’à la fureur. Bousculés entre franchise et manœuvre, ils semblent en quête d’une implosion salvatrice. Traqués par l’image, et voués à sa célébration, ils peinent dans leur chair, se réfugiant dans une parole de plus en plus scindée.
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Botho Strauss, La trilogie du revoir, mise en scène de Benjamin Porée, Théatre des Gémeaux, se joue jusqu’au 20 mars.




4 commentaires:

  1. Acheter une place, pour dimanche à Sceaux, sans savoir si on aura la permission de sortir pour aller voir cette pièce : vous êtes trop fort... Et/ou je suis trop faible... Maintenant, il ne me reste plus qu'à croiser les doigts pour avoir la chance d'assister à ce spectacle si tentant.

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  2. Bonsoir à tous. Pas de chance pour moi, je ne pourrai pas sortir. J'offre ma place pour ce spectacle, dimanche 17h, à celui qui peut venir la chercher demain en milieu/fin d'après-midi à l'hôpital Saint-Antoine. Que l'information tourne, il ne faudrait pas gâcher...

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  3. Je peux vous remettre la place dimanche également, toujours hôpital Saint-Antoine. N'hésitez pas, svp !

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  4. Merci, cher Claro, croisé lors d'une émission sur France Culture autour de Robert Browning. Benjamin Porée, le metteur en scène, est mon fils, et, bien sûr, je ne saurai être impartial, mais permettez-moi de vous confier combien vous touchez juste dans votre analyse si pénétrante de ce qui se passe, dans le texte et sur la scène. Votre propos lui a fait du bien, car la critique ne l'a pas franchement épargné. Mais il persiste, et grâce à vous, il se sent un peu plus fondé à le faire.
    Marc Porée

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