vendredi 16 juin 2017

Une seule lettre vous manque

Ecrivains en bord de mer, dont je vous ai causé ici, m’a demandé, ainsi qu’à d’autres écrivains, de parler de Georges Perec, de son œuvre, son influence. J’ai donc choisi La Disparition, un texte que je perds et rachète et retrouve régulièrement (n m d mand z pas pourquoi, c’ st comm ça). Ce qui est fascinant, dans ce roman, c’est, outre la fêlure qu'il abîme et décline, l’immensité des possibles écartés mais sensibles qu’il recèle, le mille-feuille insensé qu’il exhibe à couvert à chaque niveau. Chaque fois qu’on le lit, on sent un spectre sous-jacent à la phrase, aussi anodine soit-elle en apparence, si tant est qu’une phrase possède une apparence, or c’est bien là toute la question. Rarement, un texte n’a autant parlé de ses failles, de ses absences, ni fait de cette parole un rituel destiné à déposséder la mort de ses prérogatives.

Considéré comme un texte à contrainte, La Disparition est surtout une ode aux libertés. Celles que le texte, dès lors qu’il installe la conscience de soi dans la trame même de son étoffe, peut se permettre. Une contrainte n’est pas une interdiction, mais plutôt une invitation au détour, au contournement, or c’est précisément cela – le détour, le contournement – qui est la grande affaire de l’écriture : non pas traverser les choses comme une pièce, mais les éviter pour mieux les voir, se méfier de leur appréhension directe au profit d’une perception distanciée. Mais distanciée ne veut pas dire objective ou neutre ou insensible, au contraire, il y a dans le détour une fausse prudence qui a valeur à la fois d’exil et de mouvement d’encerclement. Comme si écrire c’était faire en sorte qu’un point puisse cerner de partout un cercle. Renversement des valeurs et des principes, donc. La contrainte ne consiste pas à s’imposer des tabous mais à s’inventer des totems, et parfois il n’est pas souhaitable de prononcer le nom de l’idole. Ce qui disparaît cesse-t-il d'exister? Telle est la question que nous pose la vie à chaque instant.

On se demandera donc pourquoi La Disparition a autant excité les traducteurs. Le livre a été traduit en anglais (par Gilbert Adair, mais aussi par John Lee et par Ian Monk), ainsi qu’en italien, en espagnol, en turc, en suédois, en russe, en néerlandais, en roumain, en japonais, en catalan. Au-delà de l’exploit que représentait l’adaptation du texte de Perec dans une autre langue, alors que La Disparition était elle-même écrite dans une langue autre, faut-il y voir le simple processus de traduction, appliqué à un livre quelles que soient ses difficultés, ou n’y a-t-il pas, au sein même de La Disparition, quelque chose qui soit, déjà, de l’ordre de la traduction. C’est là-dessus que je me pencherai le samedi 15 juillet à 17h à la Chapelle Sainte-Anne, en partant du principe qu’une seule lettre vous manque et tout est déplié.





Sur c , j  fais m s valis s.  

1 commentaire: