lundi 9 février 2009

Aux écrivains la patrie méconnaissante


Un magazine culturel (peu importe, hélas, lequel) affiche en ce moment à son sommaire la question suivante: "La littérature française est-elle morte?" Bien sûr, on se doute que les dix écrivains contactés pour "répondre" vont nuancer, voire contredire cette éventualité faramineuse. Et on a aussi vaguement pressenti qu'il s'agit là d'un rebondissement de la fort peu intéressante polémique lancée par Donald Morrison il y a quelque temps dans Time Magazine. Il n'empêche que le fait même d'utiliser une telle question comme accroche en dit long. La question a une je ne sais trop quoi de provocateur. Ce qui me dérange, ce n'est pas tant qu'elle soit provocatrice (et, pour tout dire, aberrante), non, ce qui me dérange (pas au point de perturber mes insomnies, notez bien), c'est qu'elle contribue à entériner cette notion calamiteuse de "littérature française" comme corpus défini, entité papetière, allez savoir – et la question de la mortalité de ce corpus, quand bien elle est ou pas contestée, contribue à personnifier un objet d'étude pourtant difficilement définissable. Car franchement c'est quoi la "littérature française"? Des livres écrits par des Français? Des francophones? des francophones français? Une traduction n'en fait évidemment pas partie? Quoique? Puisqu'elle est écrite en français? Par un français? Quelles sont les conditions requises pour être crédité d'auteur de littérature française? Combien de mois faut-il habiter à Paris ou à Laval par an? Le français doit-il être votre langue maternelle? le sujet traité doit-il porter béret? quand Raymond Federman écrit en français, c'est de la littérature française? Si Jim Harrison était naturalisé demain, ça serait rétroactif ou bien? Bref c'est très compliqué tout ça. Et si c'est plus flou qu'il n'y paraît, pourquoi aller s'imaginer que cet objet flou puisse, tel un corps, être sujet au phénomène biologique de la mort? Comment une littérature pourrait-elle mourir? A-t-il fallu qu'elle naisse? Est-il possible qu'elle contracte des maladies? Suppose-t-on qu'elle grandisse, vieillisse? Bref, c'est le genre de questions qui ne fait que renforcer la fameuse notion tarte à la crème rance de la littérature générationnelle – on s'est quand même nettement plus amusé avec la notion revigorante de "mort de l'auteur".
Aussi contestée soit-elle dans les réponses apportées au sein dudit magazine, le simple fait d'en faire une accroche possiblement pertinente en dit plus long sur la critique que sur la littérature. Des guillemets n'auraient, je crois, rien changé. Le mot "français" est bien joli et tout et tout, mais dès qu'on l'applique à la littérature, grande branleuse de frontières, et qui plus est dès qu'on l'associe à l'idée de mort, eh bien, on sent pointer une angoisse qui, comment dire… Peut-être faudrait-il réserver ce genre d'interrogation aux rubriques nécrologiques (genre: Nous avons le regret de vous annoncer la mort de la littérature française, une cérémonie d'adieux aura lieu au premier étage du Flore) ou aux news médicales (Des chercheurs de Marne-la-Vallée ont peut-être trouvé le vaccin miracle contre la dégénérescence de la littérature française, les premiers tests ont eu lieu sur un échantillon de malades germanopratins). On lira néanmoins avec intérêt les réponses apportées par ce magazine culturel dont on espère qu'il est à l'abri des gros rhumes existentiels.

7 commentaires:

  1. Il est des questions plus intéressantes que ça. Par exemple, dans le Matricule des Anges n°100, 40 auteurs répondent à la question : "Quelle critique littéraire attendez-vous ?" N'est-ce pas ?
    Bon, en attendant, c'est moi qui pose les question : quel est ce magazine "culturel" et quels sont les 10 auteurs ? Ma curiosité est aiguisée.

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  2. La Littérature Ffrrrançaise est morte... Vive la La Littérature (Ffrrrançaise)!...
    Hi ! hi ! hi !

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  3. accord complet bien sûr - on attend le Clavier Cannibale papier, et en attendant on sait où venir pêcher, ici par exemple, lez zones de turbulence

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  4. une régalante réponse, avec tout de même un curieux présuposé, que la question ait été pensée et qu'elle soit destinée à déclencher une pensée

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  5. Pour une littérature sans papier :


    J’ai, fut un temps, un peu potassé sur la notion d’auteur « chinois francophone » parce que je la trouvais particulièrement efficace pour traiter de ce genre de question(=sur les littératures nationales, la notion de frontière, de seuil, d’entre…), je ne pense pas qu’en elle-même, elle (la notion) signifie vraiment quelque chose, par contre elle est redoutable en ce qui concerne la mise en doute des frontières/limites car elle pose la question, un, de la littérature nationale : qu’est-ce que c’est que cet auteur, un chinois ou un français ? (il y a là-dessus des anecdotes très amusantes, il suffit de regarder le classement en haut-de-jardin à la BnF, il y a un rayon littérature francophone asiatique avec François Cheng dedans (auteur à l’Académie française, comment être plus « français » ?) et d’un autre côté quelqu’un comme Shan Sa qui elle n’est pas rangée dans le rayon francophone mais dans celui des auteurs français du XXIème siècle, pourquoi Shan Sa est plus française que François Cheng ? Et puis pourquoi avoir à se poser d’aussi horribles et essentialisantes questions ? Je vous le demande surtout que tous les deux ont la nationalité française -je ne suis même pas sûr pour Shan Sa) et, deux, il y a la question de la hiérarchie de ces littératures : la littérature francophone est souvent considérée comme un ensemble de littératures périphériques, comme des « sous-littératures » (comme les littératures traduites d’ailleurs, lire le texte dans la langue oui, l’étudier en classe bof, avec le cours de langue à la limite mais une traduction de ce texte, hors de question, pourquoi ?) . Ca me fait toujours doucement sourire de voir qu’on a tendance à réduire de très beaux textes (Chamoiseau, Glissant pour ne citer que deux auteurs) à de la « littérature francophone », c'est-à-dire une littérature issue des anciennes colonies (donc, petite précision, qu’on ne reconnaît pas comme postcoloniale car le postcolonial est une pensée de la littérature qui s’interroge sur une plus juste répartition de la parole), autrement dit une « sous-littérature » (pas parce que les anciennes colonies n’ont pas de grands auteurs mais parce qu’elles ont cessé d’être d’ « anciennes colonies » et qu’il faut commencer à l’accepter, que le monde ne tourne plus/pas autour de la France, il tourne autour du @ de g@rp non ?).

    Je suis désolé pour cette longue tirade mais ça m’a fait plaisir de lire ce billet, j’ai d’ailleurs envie de poser une autre question par-dessus, est-ce que ce n’est pas la même chose pour le mot « littérature », qui peut me dire à la fin ce qui en est et ce qui n’en est pas, moi j’en suis incapable et de la même manière j’ai du mal à me dire que les textes traduits n’en font pas partie de cette grande littérature. Je parle de textes traduits, car il devient difficile si l’on accepte le texte traduit comme un texte littéraire de savoir de quelle nationalité de littérature on parle alors.
    J’en suis arrivé à un point où je me demande si je lis Danielewski ou Claro quand je lis la Maison des feuilles. Et c’est « traduit par Claro » que je vais retenir quand je vais acheter Waiting period ou Le silence selon JD et non un quelconque nom d’un auteur quelconque ( Pynchon, Selby Jr....)…J’attends mon « traduit par Claro » comme Goethe attendait son Walter Scott, alors qu’on me dise pas que c’est pas de la littérature. La démarche même de chercher des trésors littéraires, c’est pas loin d’être déjà de la littérature !
    Littérature nationale, littérature originale, aujourd’hui je vous dis merde, parce que j’aime la littérature traduite et sans carte d’identité!

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  6. salut claro, est-ce que ça te dérange si je traduis une portion de ce billet pour mon blog?
    merci-
    lauren

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  7. Selon moi, simple néophyte, la littérature française, c'est l'ensemble des livres écrits en fançais par des français. La littérature francophile, concept moins utilisée, regroupe l'ensemble des livres écrit en français.

    La question de savoir si elle est morte est pertinente dans le sens où la france n'est plus le chef de file de la grande littérature et est à la limite de la traine...

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