lundi 2 avril 2012

Novarina: une langue pour quoi faire l'idiot

C'est un petit livre signé Valère Novarina et intitulé Une langue inconnue, publié par les éditions Zoé, et qui rassemble trois textes de l'auteur précédemment parus dans d'autres volumes aux éditions P.O.L. et Héros Limite. Novarina y parle de son rapport au hongrois, sa première langue fantôme, ombre langue s'étendant sur le français, suivie bientôt d'autres "sœurs" spectrales, le latin, le patois savoyard (plus précisément le patois chablaisien, "franco-provençal dans sa variété lacustre"), l'italien, aussi.
On éprouve, en lisant Novarina, le même sentiment qu'en lisant Guyotat dans ses textes les plus récents. Celui de lire autant que d'entendre le lien vivant unissant un écrivain à sa matière première, ce récit souvent généalogique d'une préhension quasi tactile de la langue, ou plutôt des entre-langue. Le début d'une aventure, ou comment le corps, par la bouche et l'oreille, ingère musique et structure, invente des articulations, déjà compose. C'est peu dire qu'une telle expérience est précieuse en regard de l'événement qu'est toute traduction. Pour Novarina, il convient, lors de la translation, de "savoir laisser chaque langue à sa solitude: ne pas se presser de trouver les portes et les portes-fenêtres communicatrices. Aucune langue ne communique."

Et de préciser alors le point suivant, capital:

Dans le transport de la traduction, ne jamais penser voyage à niveau, mouvement latéral d'équivalence, translation – mais toujours pérégrination en profondeur et descente en volume dans le puits de la mémoire et de la respiration: dans le trou de mémoire et de respiration. (p.16)

Mais aussi:

La traduction respire: va profond, opère à la verticale, descend et monte des profondeurs; elle sonde ensemble, va en parallèle au fond du langage, dans les deux langues. (p.17)

Et Novarina d'avancer l'idée, le projet, l'excellence indispensable d'une "traduction respiratoire, idiote". Traduire en idiot? Voilà un conseil qu'on pourrait donner à ceux et celles qui désirent se lancer dans cette profession. Oui, traduisez en Benjy Compson, ou en prince Mychkine (puisque paraît-il "la beauté sauvera le monde". Traduisez aussi en Bouvard, en Pécuchet. Puisqu'il vous faudra apprendre ou réapprendre à bégayer, laissez la salive faire son travail dans votre bouche, ne cherchez pas le mot juste, mais juste le mot, ne le cherchez pas, le mot, le mot juste, il vient, il monte, de l'intérieur de la langue ou plutôt de la troisième langue, celle qui titube entre les deux, et non de la panse du dictionnaire. Ce n'est qu'ainsi, peut-être, qu'on pourra espérer parvenir, à force d'idioties, au "point pascal", afin de "tomber juste" (p.19, toujours Novarina).
Novarina qui conclut son texte par cet appel qu'il faudrait, impérativement, entendre, savoir entendre, et partager:

Communicants, ne croyez pas que le langage communique: il danse! C'est dans la langue à un que le le langage se souvient de tout. Dans son idiotie et par mystérieuse équation. Nous avons tous urgemment besoin de pratiquer à nouveau par l'ouverture et la variation et le jeu et le changement de registres, l'offrande du langage, le don de la pensée, la prière de la respiration. (p.40)
Nous ajouterons: Communicants, communiquez ! Communiquez encore et toujours plus! Vautrez-vous dans votre langue commune, si commune. Déjà des écrivains vous imitent, las de ne pas savoir respirer. Formez ensemble des bataillons, et allez voir ailleurs si vous y êtes, vous y serez, très vite, dans cet ailleurs qui est nulle part, qui est votre fonds et votre commerce. Mais sachez que les idiots ne vous saluent pas. Les idiots préfèrent apprendre à respirer – loin du coûteux gesticulé qui vous meut.
(Et les communicants de se regarder entre eux, interloqués, et de se demander quelle peut bien être cette inepte contrée qu'ils habitent et que les idiots désignent sous le nom de Kouteugestikulékivoumeu…)



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