lundi 27 août 2012

Au tour de Candré


Pour entrer en littérature, il ne suffit pas de tuer le père, il faut parfois aussi ressusciter la mère. La tentation biographique n’a de sens que si elle dépossède l’ego, hors toute entreprise de salvation, dans la panique quasi animale qui s’empare du souvenir. Avec Autour de moi, premier livre publié, Manuel Candré tient le journal délité d’une enfance, où tout ce qui respire se double violemment de tout ce qui crève. Le grand-père, la grand-mère, le père, la mère, la chienne, le narrateur : une tribu nocive et furieuse, avec ses douceurs improbables, ses chutes et récidives, rameutée par Candré dans une anti-fresque dédiée aux « figures de l’absence ». L’auteur devient un œil qui se voit et se revoit, non pour mieux se connaître, mais pour s’écarquiller et, dans l’orbe de sa vision, apercevoir les autres, ces protecteurs que la mémoire sait peccables, lâches, faibles, voire tortionnaires. Le récit est âpre et la langue attentive aux écorchements. La virgule s’absente parfois, tel un luxe refusé, afin de mieux prendre en défaut le souffle. Le récit est au présent, comme le souvenir, qui cherche à contenir la douleur dans le recommencement et tient pour actuel ce qui a été. Il y a des coups, des cris, des larmes, des bouquets de rage qui n’en finissent pas de fleurir, mais également des épiphanies, chétives, certes, mais tenaces, car l’enfance, même tourmentée et bafouée, sait attendre l’âge adulte pour ne pas tout brûler.
Candré aurait pu se contenter de peindre et démolir, par touches sèches et ressenties, ce passé tout en failles et ruptures, dire seulement ce que retranche la mort et ce qu’accumule la violence, mais sa langue le porte au-delà, et parvenu à la page 66, il me semble que le livre bascule, s’affranchit de la vindicte du souvenir pour revenir sur ses pas, repasser par les mêmes déchirures, mais avec une énergie différemment reconstituée :
« La frustration à ce point-là ça rend dingue le sentiment qu’on est promis à autre chose forcément et qu’on ne lève pas, ne serait-ce que le petit doigt, pour sortir de l’ornière et qu’au contraire par l’inertie ou la rage tournée on s’enfonce un peu plus à chaque coup de manivelle. Parce qu’on refuse le labeur parce que ça signifie qu’on est laborieux et tout le corps mû par quoi on ne sait pas refuse d’être collé à la terre, ce corps il veut voler il rêve à voler tout le temps mais il ne sait pas donner l’impulsion car rien que ça c’est la fin des illusions par un retour de gravité. »
Dans un bruit de rocailles, en déponctuant de plus en plus son approche, l’auteur, clairement, vient de faire sauter un verrou, de chair ou de sens, on ne sait, mais la page vibre autrement, désormais. L’expression « autour de moi » a changé de valeur. On passe de la simple circonvolution (spéculaire, fragmentaire, faussement impressionniste, tragiquement lacunaire) à quelque chose qui se veut vertige, mais vertige dynamique, tournis musclé. Le tour de moi, comme le tour d'écrou, ou de magie. Candré, alors, fait de l’oripeau naturaliste (dans son illusion) un voile à déchirer plus savamment – un regain surgit, les valeurs foncent. Le changement est imperceptible mais ses conséquences, il me semble, capitales pour l’auteur. Les scènes se rejouent, la mort est revisitée, et l’anneau mnésique peut alors se refermer sur le « je ». On en dira pas plus sur le finale du livre, qui révèle sans détour que l’animal sans cesse crevé autour duquel tourne le récit est avant tout le silence. Silence au cou enfin tordu, avec ce premier livre étonnamment strangulatoire.
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Manuel Candré, Autour de moi, éditions Joëlle Losfeld, parution le 30 août

1 commentaire:

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