jeudi 21 février 2013

Œufémisme

Les œufs Bénédicte sont un plat composé de deux moitiés de muffin, recouvertes d'une tranche de jambon ou de bacon, d'un œuf de poule poché, le tout de sauce hollandaise. Une fois qu'on a dit ça, on s'aperçoit qu'on déjà pris un kilo dans les hanches. Mais on ne le regrette pas vraiment. En revanche, on a le droit, maintenant qu'on est repu, de s'interroger sur cette appellation: œufs Bénédicte, ou œufs bénédictine, ou encore œufs à la bénédictine, si bien qu'on s'étonnerait presque de ne pas trouver l'expression naturelle: "bénédicte d'œufs". D'où viennent-elles donc, ces ovoïdes cellules fécondées que la malice a ensevelies sous une lave de jaune d'œuf, de beurre et de citron ?
On vous arrête tout de suite. Pas la peine d'imaginer un vieux moine ventru de l'ordre de saint Benoît, jaloux des succès d'un chanoine Kier, s'essayant, entre deux molles flagellations, à de complexes combinaisons culinaires,  Apparemment, l'œuf bénédicte est nettement plus païen.
Ce serait un certain Lemuel Benedict, agent de change en retraite, qui, désireux de soigner sa gueule de bois matinal, aurait commandé au cuistot du Waldorf Astoria, par un clair matin d'août 1894, le mélange aujourd'hui célèbre. Pourquoi pas. C'est à peu près dans les mêmes conditions que John Montagu, comte de sandwich, inventa la collation éponyme. Mais d'autres théories courent les arrière-cuisine, et il paraîtrait que c'est un banquier du nom de E.C. Benedict qui aurait mis au point la chose. Ou une certaine Mrs. Le Grand Benedict, épouse d'un magnat de la finance, qui aurait insufflé la calorique idée au maître d'hôtel du célèbre El Domenico, à NY. Allez savoir.  Agent de change? banquier ? financier? Ce qui est sûr, c'est qu'il s'agit là d'un repas tout droit sorti de la tête d'un suppôt du capitalisme. On comprend mieux du coup pourquoi, une fois absorbé, l'œuf bénédicte vous donne envie de lire le journal (pages loisirs) dans un canapé chesterfield puis de somnoler en rêvant à de lointains paradis fiscaux. Alors qu'un œuf à la coque, c'est bien connu, n'a jamais rendu personne songeur. Quant à l'œuf dur, il est tout juste bon à faire résonner le zinc et sonner le retour au turbin. Bref, l'œuf est comme l'homme: plus on le choie, moins il donne envie de bosser.

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