mardi 3 juin 2014

Le carbone magique de Celestini


Qu’en est-il du théâtre narratif, dont Dario Fo donna l’impulsion en Italie, et dont Ascanio Celestini semble être l’artisan le plus doué ? Rappelons que Fo fut prix Nobel de la paix en 1997 et que par son entremise la parole put investir usines et théâtres afin de dire ce qu’il en est de l’aliénation. Etayé par des documents et des témoignages, le théâtre-récit permet à l’interprète d’adopter des figures souvent ennemies. Il s’agit d’une anthropologie littéraire, vécue vocalement, que la résilience politique transforme en un one-man show/text dont on aurait  peine à trouver d’équivalents ici (sauf à lorgner du côté de Pennequin ou Adely)..
La traduction, récente et exemplaire, de Discours à la nation (et autres récits), devrait permettre à nos oreilles engourdies de découvrir l’œuvre plus que stimulante de l’écrivain Ascanio Celestini. Que fait Celestini ? Ni paraboles ni fables, ses plus ou moins courts textes pivotent autour d’un axe politique, social, philosophique. L’angle est faussement naïf dans sa dialectique, mais suffisamment scandé et modulé pour que le message soit aussi subtil que franc. Un homme regarde goutter son robinet, imagine le déluge possible puis se retourne vers le mur. Un anxieux jalouse un tronçonné, dont le sang visible semble moquer l’invisible de sa dépression. Un cadre établit le protocole de sa participation à des réunions : doit-il ou non poser son revolver d’emblée ? Un type croise Dieu dans un supermarché. Des cours de file d’attente sont donnés dans les écoles, etc.
Tranchant, malin, troublant, musclé, le procédé-Celestini est une (re)mise en scène permanente des traquenards sociaux et des discours qui les sous-tendent. Caméléonesque, son écriture emprunte, dévoie, poursuit et explore le labyrinthe des discours possibles – avec une charge comique qui en souligne la dimension subversive. Ecoutons Celestini, magnifiquement traduit par  son acolyte Christophe Mileschi :
« Les rats étaient dans l’égout,
parmi les excréments ils croissaient à coups de latte et de poison.
Un Jour ils bondirent hors de leur trou
et tombèrent sur le chat
qui vivait paisiblement,
mais quand il vit les rats il sortit ses griffes
et d’un coup de patte les renvoya à l’égout. »
Que firent les chats ? vous demandez-vous ? Ils se terrèrent. Mais leurs enfants, élevés à coups de latte et de poison, eurent raison du félidé qu’ils « déchiquetèrent, […] dévorèrent / et sur ses restes laissèrent leurs excréments ». Puis surgit un chien, qui les renvoya aux égouts. Mais les ratons des ratons viennent à bout du dogue. Et cetera, en remontant la chaine hiérarchique, jusqu’aux instances du pays.
A à la fin d’un texte intitulé « Papier carbone », Celestini, », dit :
« Nous sommes pareils.
Déprimés et apeurés. »
Mais la prose de Celestini, elle, est tout sauf déprimée et apeurée. Elle exsude la révolte et l’espoir citoyen. Ruez-vous, c’est publié par Notab/lia, la collection que dirige Brigitte Bouchard, à qui l’on doit l’exceptionnel catalogue des Allusifs.

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Ascanio Celestini, Discours à la nation, traduit  de l’italien par Christophe Mileschi, éd. Noir sur Blanc, coll. Notab/lia, 2014, 19 € –  (et chapeau à Paprika, qui designe les couves).

1 commentaire:

  1. Ne serait-ce pas plutôt : Que firent les rats? Pardon de me mêler....

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