jeudi 2 juin 2016

Sous la poussière, les monstres (1)

[Le Magazine Littéraire a demandé à des écrivains d'écrire un texte sur leur série préférée, ou une série qui les a marqués, influencés, etc. Voici le début de mon texte paru dans le numéro de mai. La série retenue est La caravane de l'étrange:]


Ainsi nous apparaît l’Amérique, abandonnée par le Dieu Dollar et promise à la déréliction, livrée aux bêlements du vent et aux visions des bateleurs, flagellée par des rafales de sable, laissant la poussière enterrer ses morts. Et voilà qu’au milieu passe une caravane, avec ses freaks, son avaleur de sabre et son homme-serpent gay, son hercule mutique et ses siamoises chantantes, sa femme à barbe et tous ceux qui, dotés d’un don hideux, n’ont à vendre que les fragiles appas de la chair et les ressorts ténébreux de l’esprit.

Diffusée aux Etats-Unis entre 2003 et 2005, La Caravane de l’étrange (Carnivàle en v.o.), riche de vingt-quatre épisodes comme autant d’heures fatales égrenant le dernier jour du monde, nous propose une vision spectrale du mirage américain en faisant cohabiter deux univers extrêmes : le cœur agricole du Middle West dévasté par la Grande Dépression et le cataclysmique Dust Bowl des années 30, et la tribu bancale des forains ambulants. D’un côté le monstre de poussière qui, tel un fléau biblique, referme ses mâchoires sur les populations et les cultures ; de l’autre, corps et esprits tordus ou joints, des charlatans aussi nomades que visionnaires. D’un côté, un voile d’Isis abrasif et omniprésent, ravageant jusqu’à la trame des rêves ; de l’autre, les hérauts d’une mauvaise aventure, errants venus réveiller les âmes usées.

Traversée par la musique elliptique de Jeff Beal, filmée en nuances chrome et sépia, La Caravane de l’étrange, créée par l’inspiré Daniel Knauf, était prévue pour durer six saisons, mais son coût énorme et son succès mitigé signèrent son arrêt de mort au bout de deux saisons, au grand dam des fans. Si aujourd’hui son esthétique nous permet d’y déceler le chaînon manquant entre le séminal Twin Peaks de Lynch et le ténébreux True Detective (saison 1) de Pizzolatto & Fukunaga, l’objet resta plutôt non identifié au début des années 2000. Renvoyant l’Amérique à ses propres forces occultes, triturant ses manichéismes et traitant la narration de façon fractale, la série s’impose pourtant comme une expérience chamanique sur fond d’extrême dénuement.

[…] To be continued…

1 commentaire:

  1. oui, tout cela est très bien ; mais qu'en est-il de Miss McIntosh, my darling ?
    où en est-on ? bon dimanche

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